El viento viene, el viento se va, por la frontera. El hambre viene el hombre se va.Sin mas razon...

Depuis le coeur de L.A. et la traversée de ses quartiers (chinatown, little india, little tokyo où étaient parqués les Japonais-américains pendant la 2e guerre mondiale) jusque dans le désert. non, pas les romantiques et "douces" dunes de sables, mais le maquis rude, les ranchs de lamas, de vaches. des rochers empilés comme des kairns ironiques. univers sec et poussiéreux que l'on sent aspirer l'eau qui tombe en grosses gouttes lors des brutaux orages estivaux qui éclatent avec certitude dès que la météo les prévoit à 25%. Odeurs presque suffocantes, qui rappelle les collines "du côté de" Tossa. Au bout de la freeway encombrée, de la highway qui nous séloigne des foules du "traffic", ce n'est plus qu'une route qui doit filer sud; après le petit tas de maison de "El campo", la route devient piste. On aperçoit encore des caravanes, qui rappellent "Paris, Texas". Puis, plus rien, puis, quelques tentes, quelques voitures, parquées au milieu de nulle part. Ou plutôt, si: en portant le regard un peu plus loin, on se rend compte qu'on n'a jamais été autant quelque part au milieu du désert: a quelques dizaines de mètres de là, s'élève une barrière métallique de 7 pieds de haut, environ. La matière n'en est pas lisse, elle est ondulée et faite du raccord de plusieurs plaques. Mais elle s'étend, continue, à perte de vue,suivant les ondulations des collines, longée par une piste dont on devine le reflet exact en face.
J'ai sommeillé dans la voiture, et comme nous ralentissons, à l'évidence arrivés, quelques minutes me sont nécessaires pour identifier cette bête barrière qui clot notre perspective. De l'autre côté, le Mexique. identique. en plus calme. de l'autre côté, point de patrouilles qui sillonnent le "chemin des douaniers", point de manifestants, point de "chasseurs d'homme". Ceux qui en arrivent, ceux qui le hantent ne veulent certainement pas afficher leur présence, tout morts de soif et de fatigue qu'ils soient, le but restant, à ce moment précis, de se confondre avec la sécheresse du décor endormi sous la poussière. Comme une agressivité sadique et inhospitalière hypocrite, qu'on a du mal à percevoir sous le masque de la beauté des sensations: lumière, brise, odeurs. A l'évidence, personne de l'autre côté pour endiguer le flux des illégaux venus des Etats Unis: la frontière a quelque chose de la diode... En haut de la colline, au niveau du monument /borne qui marque la fin du grand chemin de randonnée qui court le long de la crête pacifique depuis le canada, quelques voitures, des camions de sheriffs et de la "border patrol": "serving peace since 1860". En contrebas, le camp des manifestants. A l'autre bout de la piste, dans le village, la maison des VFW (Veterans from foreign wars), qui sert de quartier général, de poste au groupe des Minutemen, qui, au nom de la protection des citoyens, se veut une dissuasion de plus, un obstacle supplémentaire pour les immigrants qui franchissent la frontière. Les fameux "Racistes", sympathisants "nazis" visés par la manifestation. La maréchaussée passe et repasse devant le camp, relève les plaques d'immatriculation. attitude officielle, leur froideur professionnelle empêchera tout du long de se faire une idée des leurs... De jeunes mecs, 18 ans, à peine, passent devant nous dans une bagnole bariolée (par ex: "protesters are gays"sic).

Il n'est pas difficile de nouer des conversations dans ce genre de camp: une curiosité naturelle et amicale envers tout un chacun, la solidarité dans le combat, mais surtout, le prosélytisme bien connu des groupements socialistes. Ayant voyagé avec 3 membres de l'ISO, je sais qu'il s'agit aussi de vendre le journal, de gagner des adhérents, ou du moins des sympathisants, de recruter pour les meetings hebdomadaires. On parle au passage des droits des femmes, de la Palestine (le fameux mur, comparé sans cesse à cette frontière, au mur de Berlin, c'est comme ça que les choses commencent si on n'est pas vigilant etc; un des manifestants, venu du Guatemala, arbore, en cape, un drapeau palestinien), de l'Irak. On me demande si je suis une "activiste" en France (on parle beaucoup d'activisme, comme d'un hobby, ou plutôt comme d'un nouvel engagement monastique). Si c'est la première fois que je descend. On m'assure que l'ISO est très différente du parti communiste, des pays communistes (so called). J'achète ma tranquillité pour 1$, le prix du journal "socialist worker" imprimé en noir et rouge,talisman utile, qui dépasse négligemment de ma poche, lorsque je marche, ou que j'étale devant moi, comme plongée en pleine lecture, lorsque je ne veux pas nouer de conversation. Je ne peux m'empêcher, malgré ma sympathie pour plusieurs personnes, en tant qu'individus, à commencer par Karl, si gentil, avec qui je suis venue, et par exemple ces quelques dames dépositaires de destins individuels, fragments d'humanité pure et simple, de redouter la masse endoctrinée et les idées toutes faites. Mais, profonde sympathie, et admiration pour le geste, et l'action: celle de secourir les "naufragés", de leur distribuer de l'eau. Sur leurs ambulances rouges, il est écrit : Angeles del desierto. Anges gardiens, consolateurs, ne jugeant pas, venant simplement au secours. Strict opposé de ceux qui, se voulant les applicateurs implacables d'un droit des frontières qui protège leur pays (après tout, c'est la loi qui rend libre, c'est le fait même que les EU soit un Etat de droit qui le rend désirable), se pensent anges de Justice, bras armé brûlant de la Loi qui ne supporte pas l'exception. dans le meilleur des cas. quand il ne s'agit pas de haine raciale ou de violence gratuite, de sadisme ou de complexe de supériorité. (ceux-là sont rejetés des rangs des Minutemen, du moins c'est ce qui est affirmé officiellement)

Après quelque temps, l'action commence. Nous reprenons les voitures, nous nous armons de pancartes et de mégaphones achetés à Radioshack, et retournons à El campo pour faire une "marche", une manif, quoi, devant le HQ des Minutemen. slogans denonçant le racisme, speech de différents intervenants. Une jeune femme, au polo découpé où est écrit au t pex "they killed people", arborant une corne dans l'oreille, prend des notes dans un joli cahier (il ya aussi une attitude de la protestation, la mode anticonformiste), un photographe venu de Londres mitraille. A vrai dire, tout le monde mitraille, moi y compris; photos, films. Cela laisse rêveur sur la redondance, et sur le narcissisme de l'évènement. L'un des MM, sans doute Jim Chase, sort, et filme; fier, victorieux. On imagine mal le contraire; s'il se pensait raciste ou du moins s'il n'était pas sûr de son droit, il ne se serait pas engagé dans l'action, du moins pas à sa tête. Il a sans doute de solides arguments armant sa conviction, et pas seulement des arguments irrationnels et égoïste. pas moins que les manifestants. Une barrière de flics impassibles protègent leurs propriétés privées (voiture, maison). De part et d'autres des forces de l'ordre, deux façons de traduire le rêve américain. Autre frontière... c'est compliqué. sans doute peut on avoir tout de même un avis, et un coeur, mais il est difficile de ne pas écouter, difficile de s'enfermer dans un avis, et dès que l'on commence à raisonner, on s'y perd.

sur le pas de leur porte, des familles demandent qu'on ne klaxonne pas. Je me sens un peu déplacée, à répéter ces mots guelés avec la foule, en choeur, mais si le coeur y est un peu, la conviction, elle, manque, je n'en sais pas assez, et me sens un peu coupable d'accuser de racisme des gens dont je ne sais pas tant que ça, dont je ne connais pas les arguments, avec qui je n'ai pas discuté. Mais il y a aussi l'efficacité, l'action, au delà: les immigrants illégaux qui traversent tant d'obstacles dans l'espoir d'une vie meilleure, il est révoltant d'imaginer ces braves cow boys défenseurs de leur pays, de leurs "privilèges" leur rendant la vie plus difficile, jusqu'à ce qu'ils en meurent d'épuisement.

En rentrant au camp, moment du souvenir, célébration devant le mur à la frontière même, des morts, des individus. Moment du concret, des histoires personnelles, des drames familiaux, des destins injustes. des noms sont appelés, tour à tour par chacun des membres du cercle (le début de la liste des 3200 morts), auxquels, sombre, mais fière la troupe répond "presente". témoignages lus, une lettre d'une mère, dont le fils de 19 ans a disparu au cours de son voyage, dans le désert? dans le fleuve? minute de silence pour les victimes de Hiroshima et Nagasaki. initiatives des différents groupements, tels ces jeunes masqués d'un foulard qui suspendent des fils tendus de mouchoirs blancs en mémoire des hommes et des femmes tombés en quête d'une vie meilleure, d'une vie où ils pourraient élever leurs enfants, dans ce pays voisin, si enviable.

Evidemment, Manu Chao est de la fête, enfin du moins, ses chansons, ding, ding. A la nuit tombée, quelques femmes préparent des tortas de carne asada, pendant que l'on projette sur un drap au dos d'un camion, le film des dernieres fois, de la victoire. triomphalisme certain, qui permet de se gausser des MM, et des flics. rire facile; pas vraiment le mien, ce n'est pas assez mon combat, pour ne pas trouver un peu étriqués les slogans catégoriques. Mais en même temps, euphorie de la jeunesse et de la rébellion, et c'est une victoire qui est célébrée ce soir, après près d'un mois d'action de ces militants qui croient en leur cause, et ce d'autant plus qu'ils y ont pris part, qu'ils ont été actifs, vivants.

Un camion de MM arrive en haut de la colline, les manifestants se précipitent à sa rencontre, pour le confronter, et surtout crier au racisme. Dénonciation d'un manque de générosité de la part de ces hommes qui ont leurs raisons (ou leurs peurs), mais en même temps l'agressivité continue de me mettre mal à l'aise. vieux échos... "You say you want a revolution...We all want to change the world, But when you talk about destruction, Don't you know you can count me out"... on ne fait pas d'omelette sans casser des oeufs. Faut-il toujours savoir ce que l'on fait? Est-ce possible? Quel part laisser à la contingence, à l'intuition, au concret? qui a raison? Est ce que l'histoire n'avance pas sans se préoccuper de qui a raison et qui a tort, en nous mangeant sur le dos. Il faut cultiver son jardin... pour mieux en partager les fruits?
Enfin, retour dans la nuit, laissant un camp qui continue à célébrer. Somnolence alors que "Proxima estacion: esperanza" égrène ses mélodies et ses rythmes de rengaine au long de la route maquillée de jaune, et moi qui les reprend, avec plus de facilité que les slogans, plus tôt, et je jurerais que la Grande Ourse, pas tout à fait sans frontière et pas tout à fait sans âge, me fait un clin d'oeil grand-maternel.

Commentaires

1. Le mardi 9 août 2005, 19:15 par mom

Que de questions que tu n'as pas fini de te poser … et auxquelles je n'ai toujours pas apporté de réponses, à supposer qu'il y en ait…
En tous cas, merci pour cette fresque ou plutôt cette eau-forte, Goya littéraire ;)

2. Le mercredi 10 août 2005, 02:51 par wam

Goya...c'est flatteur; mais je peux faire mieux, il faut travailler. je m'entraine, pour ma vocation Kesselienne.
Si Trev lit ces lignes: oui, oui, je peux écrire ça armée de la théorie girardienne, mais laisse moi finir "des choses cachées..." d'abord.